• Bouts de chemin

    1e jour : La Bavarde

    Arrivés dans la ville de Figeac, on a d’abord été accueillis par un flot de parole. Masques, sac à dos, étages, escalier, randonneuse fatiguée, digicode à désinfecter, draps et clés de chambre, marche, ménage, pancartes sur les portes et lessive se sont mêlés en un seul discours aussi sympathique que confus et foisonnant. On a fait un tri dans nos bagages pour repartir le lendemain à pied avec encore trop de choses, mais un peu moins trop qu’avant. Je me suis souvent dit en marchant que je portais ce que j’avais décidé de me mettre sur le dos. Ça paraît banal écrit comme ça, ça paraît neutre et factuel, mais ça m’a en fait un peu renseigné sur ma relation avec moi-même. Ça m’a d’ailleurs paru plus intéressant que toutes ces consignes de légèreté du sac à respecter, qui se partagent chez les randonneurs, et cette sorte de compétition du minimalisme. Insupportables, beaucoup plus que le poids de mon sac à dos, qui n’était finalement qu’une indication de ce que j’avais voulu me faire porter.

    2e jour : Double-face

    Le 15 août est un jour férié. C’est une information qui ne m’était pas tout à fait parvenue jusqu’à maintenant. Mais ce samedi-là, on s’en est aperçus, et je m’en souviendrai : le 15 août est effectivement un jour férié.

    Après une première marche pas si difficile – malgré la rencontre avec une sorte de Cerbère minuscule qui n’avait qu’une seule tête visible mais sûrement trois cerveaux différents puisqu’il a été tour à tour indifférent, agressif et obéissant ; malgré cela donc et parce que le 15 août est un jour férié – notre ventre vide et notre peur de la faim du lendemain nous a poussés dans le seul lieu ouvert du village, la terrasse d’un restaurant à côté d’une boulangerie en vacances depuis la veille, et d’une épicerie fermée décorée d’un joli panneau sur lequel était écrit : « OUVERT ».

    C’est alors qu’après Cerbère, Double-Face est arrivé. Le regard noir souligné d’épais sourcils froncés, il nous a désigné du menton un vague menu avant de repartir. Puis il est revenu, un sourire franc, ouvert et lumineux, et le ton enjoué. Un aller, il nous fusillait du regard, un retour, il nous demandait chaleureusement si tout allait bien pour nous.

    La salade était trop chère mais meilleure ce soir-là que du vide comme repas, et elle nous a permis de rencontrer un deuxième personnage mythologique. Quand on est partis, Double-face se disputait avec lui-même à propos des habitués du lieu…

    3e jour : La Pluie, les Ronces, les Randonneurs, les Chiens et le Nonchalant

    Double-face avait raison : on pouvait s’acheter à manger en ce dimanche d’après 15 août, la boulangerie taciturne était ouverte et on n’a pas été obligés de pérégriner à jeun. Tant mieux, parce que la route a été longue. Rejoints et dépassés par des Randonneurs plus rapides et plus aérodynamiques que nous, on a marché à quatre un petit moment, puis la pluie les a remplacés. Apparemment ce n’est pas parce qu’on marche qu’on est randonneur, et nous, on n’est peut-être pas randonneurs.

    La Pluie était fine et plutôt sympathique, en tout cas plus que les Ronces. Les Ronces, c’est nous qui sommes allés les chercher pour éviter une grande route, dernière ligne droite croyait-on avant l’arrivée et le repos. Elles nous ont menés a un cul-de-sac et il a fallu revenir à la route. Au lieu d’arrivée, le Nonchalant nous a accueillis, on l’a suivi – en s’étonnant de toutes ces soutanes et robes à fleurs qu’on croisait – jusqu’à une petite cabane où on a appris que le prix à payer pour la nuit comportait des pièces sonnantes et trébuchantes… Dont le plus proche distributeur se trouvait en ville, d’où nous venions, à trois kilomètres et demi de là, ce qui signifiait que nous allions devoir revenir par la route infernale qui nous avait poussés dans les Ronces quelques dizaines de minutes plus tôt.

    En suivant des vieilles chaussures accrochées à un grillage puis les aboiements des chiens sur un chemin bordé de ranchs, on a donc rejoint la ville, on a bu une bière pour fêter notre courage et on est repartis par la route qui de nuit était plus lunaire et moins infernale.

    Ce résumé était long pour cette troisième journée de marche, mais soyez assurés que cette journée-là était longue pour nous aussi.

    4e jour : Dix Kilomètres de Rien du Tout

    On était heureux ce jour-là de quitter le chemin tout tracé pour une petite route de campagne. On a eu le temps de boire un café, de se ravitailler, d’aller lentement vers notre destination et une fois arrivés, d’attendre longtemps, longtemps, longtemps. Du village de Thégra, on a pu voir et analyser un premier banc qui avait pour point négatif la visite régulière d’un frelon, une boite à livre, un point wifi dont on n’a pas trouvé le wifi, une petite église et juste derrière un peu de verdure ou l’on peut s’allonger, puis un autre banc sous des pins sur lesquels il y a des pièges contre les chenilles des pins, et également une « Maison du temps libre » malheureusement fermée.

    5 Le Gouffre

    On est partis sans aucun poids sur le dos, légers.

    Des guichets et des distributeurs de gel hydroalcoolique nous on fait suivre une longue file de personnages masqués vers des profondeurs terrestres. Petits pas à petits pas, nous nous sommes dirigés vers l’obscurité et le froid, une voix électronique murmurant dans nos oreilles des histoires d’explorations souterraines et de crevettes transparentes. Un rameur blagueur a fait filer une barque et nous dedans sur une eau verte fluorescente et on a suivi un chemin dans les hauteurs des souterrains au milieu d’une foule de gens. C’est donc un peu sonnés qu’on est revenus aux 35° de la surface et qu’on est repartis avec un jambon cru sous vide et dans ma tête cette question existentielle : est-ce qu’on peut manger un jambon sous vide qui est resté deux heures en pleine chaleur estivale ? La deuxième question qui découle automatiquement de celle-ci : « est-ce que demain existera ? » trouvera peut-être sa réponse dans le paragraphe suivant… Ou pas.

    6 Déméter

    A Rocamadour, l’hospitalité était à réserver de longues semaines à l’avance, alors on a admiré la silhouette fuselée et escarpée du village-falaise, puis on s’en est un peu éloignés. Par un petit chemin, on a été en direction de la campagne et de ses fermes, et c’est là qu’on a rencontré Déméter. Oui, l’antique déesse grecque de l’agriculture ! Sous son apparence terrestre – celle de la vieille Doso, comme vous le savez si vous avez bien révisé votre mythologie – elle nous a accueillis avec une voix douce et des conseils. On a pu manger à notre faim sous sa protection devant un ciel de soleil couchant avec un camarade inattendu, vert et minuscule, du nom de Hugues. On a bien cru qu’il allait mourir quand j’ai voulu me gratter l’omoplate et lui ai donné un coup par inadvertance. Il était un peu casse-cou, Hugues.

    7 L’Épreuve

    Déméter nous avait prévenus : une grosse montée à gravir puis un paysage « minéral ». La journée a été rude, chaude et asséchante. À 15h il ne nous restait plus d’eau mais encore au moins la moitié du chemin, on a dû faire un détour par un lieu nommé « Versailles » où on a rencontré une cavalière en maillot de bain qui nous a raconté ses aventures – ce sont mes souvenirs, mais c’était peut-être déjà les effets de la déshydratation, comment savoir ? Sinon personne, un lapin, un héron et… Ah, si.

    Trois sportives. Le pas rapide, assuré, un départ aux aurores et des tenues identiques. Elles nous ont dépassés sur la dernière ligne droite de cette étape douloureuse.

    8 La Sorcière

    Finalement c’est peut-être à cette 8e étape, au 7e jour de marche, qu’on est vraiment rentrés dans la folie et dans le conte…

    9 Le Druide

    La Sorcière nous avait indiqué un passage secret. On s’est vite retrouvés à piétiner dans les ronces et je commençais à maudire la sorcière (ce qui n’a peut-être pas trop de sens) quand un chemin nous est apparu à côté des ronces, en contrebas. On l’a rejoint tant bien que mal avec nos sacs et nos griffures aux jambes, et on est tombés nez à nez avec un Druide. Après la sorcière de la veille, et tous les autres avant elle, on commençait à ne plus trop s’étonner. Et de toute façon, vu d’où on arrivait et notre aspect général, on n’était peut-être pas beaucoup moins étranges que lui. Il nous a adressé la parole avec un fort accent anglais, et bien sûr, puisque c’était un Druide, il connaissait aussi le passage « secret » de la Sorcière. Il nous a indiqué comment longer les rails de trains, prendre un chemin derrière une église pour rejoindre un pont puis suivre des traces de peintures sur les arbres… On n’a rien compris sur le coup mais un peu de sa magie ancestrale nous a fait retrouver notre route et finalement grâce à lui on a pu contourner de nouveau les ronces. Sur le pont du chemin de fer j’ai vu un écureuil de dessin animé, une noisette dans la bouche, se précipiter vers nous puis bondir dans le sens opposé.

    C’était la dernière étape avant d’arriver à Cahors.

    Malka

    . . .

  • Broken World MMXX

    BROKEN WORLD 2020

    « Soyez tranquilles, vous ne risquez rien, il n’y a plus rien ! »

    Le Mans, 17.04.2020
    Le Mans, 21.04.2020
    Moliets-et-Maa, 15.07.2020

    « Cat’s foot, iron claw
    Neuro-surgeons scream for more
    A paranoia’s poison door
    Twenty-first century schizoid man »

    Inconnu, 7.07.2020
    Yves, 7.07.2020
    Soulac-sur-Mer, 11.07.2020
    Cinéma l’Olympia Palace, fermé en 2007, Saintes, 30.08.2020
    Le-Verdon-sur-Mer, 10.07.2020

    « Pour moi,
    advienne cette extravagance,
    il y a beau temps
    que vous vous seriez détruit.
    Car, à tout prendre,
    mieux vaut mourir d’intempérance
    que d’ennui ! »

    Inconnu, 22.08.2020
    Inconnu, 22.08.2020

    Rochefort, 21.07.2020

    « Tout État a un ennemi principal : sa propre population. Si le climat politique commence à se détériorer dans votre propre pays et que la population commence à devenir active, toutes sortes de choses horribles peuvent arriver ; il faut donc que vous fassiez en sorte que la population reste calme, obéissante et passive. Et un conflit international est un des meilleurs moyens pour y arriver : s’il y a un dangereux ennemi dans les environs, les gens vont abandonner leurs droits, parce qu’ils doivent survivre. »

    Inconnu, 19.08.2020
    Inconnu, 22.08.2020
    Inconnu, 21.08.2020
    Inconnu, 21.08.2020

    « Desperation is the raw material of drastic change. Only those who can leave behind everything they have ever believed in can hope to escape. »

    Rocamadour, 20.08.2020
    Inconnu, 21.08.2020
    Saintes, 30.08.2020
    Le Mans, 13.09.2020

    « J’ai vu des rangées de têtes en lignes de fuite sur lesquelles jouaient des émotions floues comme la lumière d’un feu lointain. La désespérance placide de l’âge adulte. Le regret complexe. Une ou deux, les plus vivantes, avaient meilleure mine à leur manière sans objet. Beaucoup d’autres paraissaient aussi absentes que les visages sur les pièces de monnaie. »

    Soorts-Hossegor, 18.07.2020
    Saint-Vincent-de-Tyrosse, 18.07.2020
    Aytré, 06.07.2020
    Gramat, 17.08.2020
    Inconnu, 8.07.2020
    Marais d’Yves, 7.07.2020

    « En vérité, vous ne sauriez porter de meilleurs masques que vos propres visages, homme d’à présent. Qui donc pourrait vous – reconnaître ? »

    Inconnu, 21.08.2020
    Rochefort, 8.07.2020
    Mimizan, 13.07.2020
    Foix, 24.08.2020

    « Un vent de révolte soufflait sur le village. Un sentiment profond de justice avait été touché en eux ; et ces gens doux, résignés et passifs, imperméables aux raisons de la politique et aux théories des partis, sentaient renaître en eux l’âme des brigands. Les explosions violentes et éphémères de ces hommes opprimés sont toujours ainsi ; un motif humain fait remonter à la surface un ressentiment profond et ancien ; on met le feu aux baraques de la douane et aux casernes des gendarmes ; on égorge les seigneurs ; une férocité espagnole et une liberté atroce et sanglante règnent pour un moment. Après quoi ils vont en prison, indifférents, comme qui aurait assouvi, en un instant, une attente séculaire. »

    Citations et extraits : Léo Ferré, Peter Sinfield (King Crimson), Vladimir Maïakovski, Noam Chomsky, William S. Burroughs, David Foster Wallace, Friedrich Nietzsche, Carlo Levi.

    . . .

  • Il n’y a pas de fin – Part. 10


    Notre besoin d’évasion cet été a fini par nous mener sur le Chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, 8 jours entre Figeac et Cahors en passant par Rocamadour mais aussi par le Gouffre de Padirac, ce qui nous faisait complètement dériver du tracé des puristes mais qu’importe puisque nous n’en étions pas !
    Cette marche dans les Causses du Quercy nous a apporté son lot d’aventures improbables et après deux journées plus calme à Cahors, nous sommes descendus beaucoup plus bas, à Foix, avant de remonter en s’arrêtant à Saintes, ce qui peut faire croire que ce mois d’Août était placé sous le signe de la spiritualité alors qu’il était en vérité plutôt sous celui du… hasard.

    Voilà quelques images de cette virée un peu loin de tout…


    13:34
    7:46
    17:56
    11:34
    9:22
    16:39
    13:57
    10:29
    13:28
    16:54
    15:25
    16:55
    13:33
    13:56
    21:41
    14:28
    17:59

    « This is the time / Because there is no time »

    Lou Reed

    . . .