• La Flandre ( Gent, Brugge, Bruxelles, De Panne, Dunkerque )

    Appuyez sur Play pour enclencher la « bande-son » de l’article, un montage de field recordings réalisés pendant le voyage (27.05.2021 / 5.06.2021)…

    27 Mai 2021, je prends le bus pour Gent (le nom de la ville en flamand, tellement mieux que Gand, en français, qui donne envie de ne pas y aller) dans la gare routière la plus sinistre d’Europe, celle de Paris-Bercy Seine, dans le parking souterrain « derrière l’espace musculation »… J’ai les résultats de mon test PCR sur moi, l’écouvillonnage nasopharyngé est devenu la condition pour passer les frontières, même celles de la Belgique, mais puisque je suis quelqu’un de négatif, tout va bien.

    Gent :

    Première nuit dans un hôtel pourri de banlieue gantoise, dans une Zone Industrielle pleine d’éoliennes, à côté d’une entreprise de dépannage automobile où rouillent les voitures publicitaires, les carrioles et les vans tractés d’un cirque ayant déposé le bilan. Je ne suis pas loin du port et d’un grand bâtiment rouge aujourd’hui sous enseigne Décathlon mais qui fut autrefois une usine de textile. Beaucoup de choses ici sont d’anciennes usines de textile. La nuit, les jeunes viennent jouer au basket sur le terrain fabriqué par & réservé à Décathlon juste à côté du magasin…

    La brique rouge, si typique des quartiers prolétaires du Nord, domine déjà. Gent, ancien bastion de l’industrie textile, ancienne cité ouvrière, avec son port relié à la Mer du Nord via le Kanaal Gent-Terneuzen qui traverse la Hollande. Gent, ville grandiose et ville détruite, ville millénaire et en travaux, on y retape des bâtiments entiers sans toucher aux éléments historiques ou artistiques dessus.

    Je me balade en regardant en l’air : vieilles bâtisses monumentales, cathédrales aux clochers touchant le ciel, cheminées d’usines, ponts autoroutiers au-dessus des arbres, immeubles troués à côté des grues de chantiers… Le prolétaire volant de Maïakovski, qui planait du côté de Moscou, aurait eu sa place ici aussi, il y a d’ailleurs un quartier de la ville qui s’appelle Moscou !
    Les époques se mélangent sur les façades et les toits. Gent dit être le secret le mieux gardé d’Europe, c’est peut-être vrai.

    Kif de prolo-touriste : Visiter le Musée de l’Industrie.

    Aux pieds des grues, des machines
    de quelques monstres de ferraille
    au bord du canal, sur les rails
    au bar ou à l’usine

    Dans la vieille ville abimée
    les pelleteuses sculptent des décors de dessin animé
    sur les murs déchirés des hôtels à l’abandon
    des graffeurs ont laissé leur nom

    Brugge :

    Après trois jours à Gent, je suis parti pour Bruges (Brugge en flamand) où j’ai trouvé le meilleur hôtel du monde (Hotel ‘t Putje) dans la ville aux meilleures bières du monde. Au supermarché, la caissière m’a dit « hallo, bonjour, hello », je n’ai pas su en quelle langue répondre. Par contre, j’ai répondu en anglais au flic qui m’a demandé (en flamand) de mettre mon masque dans la rue, il n’a pas compris et a tracé sa route.

    Puis j’ai trouvé la source de la Straffe Hendrik, ma bière préférée. J’en ai surement un peu trop bu car j’ai fini par lui composer un poème :

    Des lunes se dessinent aux lanternes
    aux hasards des rues pavées
    au sortir des tavernes
    et sur les bords de la Reie
    Sous les pintes et les demis
    qui passent entre nos mains
    dans les épiceries de nuit
    entre deux Charles Quint
    Moonchild moonshiner
    la source, la place
    la naissance, le cœur
    Brouwerij Henri Maes

    Bruxelles :

    Après deux jours à Bruges, j’ai décidé de revenir à Bruxelles. Revenir, car Bruxelles est la dernière ville étrangère que j’ai visité avant le confinement de Mars 2020 et le grand basculement, c’était à peine trois semaines avant le verrouillage du pays et nous nous foutions encore complétement du covid-19.

    J’ai pris deux nuits dans une chambre grinçante du quartier européen : plancher en bois, lit une place, fenêtre sur rue, rumeurs de la ville & chant des sirènes, bouilloire, salle de bain collective et ronflements de la chambre voisine.

    Je cours les rues Jupiler – immeubles gris, arbres aux troncs emprisonnés dans le bitume, emballages, sacs plastique, tickets de métro, tickets de caisse, meubles solitaires sur les trottoirs détrempés – croise une amie qui ne me voit pas, squatte les terrasses les plus populo, bois des cafés dans un grand parc plein d’oiseaux de nuits et d’hommes d’affaires quelque part aux pieds des buildings de verre et de béton. On est loin de Gent, on est loin de Brugge, et je repars après quarante-huit heures, direction La Panne, sur la côte, juste à la frontière française.

    La nuit tire sa couverture
    Je vais d’une ville à l’autre
    dans des bruits de ferraille
    sur les rails qui éventrent la campagne
    Comment dormir sur cette Terre
    quand il faut la parcourir ?
    Il y a tant de choses à faire
    avant de mourir

    De Panne / La Panne :

    À La Panne, la plage était vide, la grande roue ne fonctionnait pas et j’ai squatté dans un étrange hôtel qui n’avait pas fini d’être retapé. Puis, alors que je marchais vers Saint-Idesbald pour, une nouvelle fois, trouver la source d’une bière (beaucoup moins bonne que la Straffe Hendrik mais beaucoup plus bue sur mon comptoir préféré du vingtième arrondissement) je suis tombé sur le spot rêvé de tout amateur de urbex – comme on dit aujourd’hui – un camping abandonné !

    Voir aussi : Broken World VII

    Après avoir trainé, émerveillé, dans tous les blocs du camping, j’ai été regarder le coucher de soleil sur la plage. Le lendemain, je suis parti de cette même plage pour débuter ma marche de vingt kilomètres entre La Panne et Dunkerque, un parcours en bord de mer avec pour objectif de passer la frontière à pied sans me faire remarquer, évitant ainsi d’avoir à payer un foutu écouvillonnage nasopharyngé en Belgique !

    Dunkerque :

    Le 4 Juin, j’ai passé la frontière sans problème, je causais avec un ch’ti qui me racontait dans le détail l’histoire de l’opération Dynamo à Dunkerque. Quand je lui ai demandé si on était passé en France, il m’a répondu qu’on venait juste de le faire. C’est aussi à ce moment-là que la pluie s’est mise à tomber, mais c’était un moindre mal.

    Des chinois philosophent dans un bistrot du bord de mer
    Europe du Nord, soleil mouillé qui dégouline sur l’Angleterre

    Vingt bornes de plages désertes, de ciel gris, de dunes, de mer et de pluie. Je m’abrite dans les blockhaus recouverts de graffitis et à moitié enfoncés dans le sable. Bray-Dunes, Zuydcoote, Leffrinckoucke, Malo-les-Bains, Dunkerque.

    Je dois traverser toute la ville pour rejoindre mon hôtel perdu dans une sombre zone commerciale en bordure de la D601. Comme d’habitude j’ai pris le moins cher mais, même le moins cher, parfois, ça ne passe pas.

    En arrivant à l’accueil, on me signifie que je dois régler les trente-deux euros de la chambre, je croyais que c’était déjà payé mais apparemment non, je n’ai fait que réserver. Sauf que ma carte bancaire ne passe pas, et que je me rends rapidement compte que j’ai complétement crevé le plafond de mon découvert. Vu que je n’ai pas d’autre carte et plus aucune liquidité, je suis plutôt dans la merde.

    J’ai passé un paquet de nuits dehors dans ma vie mais là, dans ce coin paumé de Dunkerque, alors que je suis trempé et que j’ai plus de vingt kilomètres de marche dans les jambes, c’est une perspective qui ne m’enchante pas des masses…

    Je flippe un moment puis trouve une solution en réussissant à me connecter au wifi du grand centre commercial dégueulasse pas loin de l’hôtel. Il se trouve qu’on peut aujourd’hui faire des virements immédiats de compte à compte, même aux heures de fermeture, merci internet. Je vire donc quelques euros de mon piètre compte épargne à mon déficitaire compte courant puis tire quarante balles au distributeur. Je retourne ensuite dans mon palace et obtient la clef de ma chambre humide dans laquelle je pousse le chauffage électrique à fond. A mon unique petite fenêtre : un restaurant bon marché et une cour encadrée de murs en tôle recouverts de barbelés ; de l’autre côté, le flot ininterrompu des voitures sur la grande route.

    Je m’endors alors qu’une ventilation énorme souffle sur le corridor derrière ma porte et que mon voisin tousse à s’en arracher les poumons.

    Un clochard des plages sur le port, près des containers
    tandis que les vagues font rage dans un brouillard centenaire
    dévorent la falaise, le casino fantôme
    on dit que demain la mer étendra ici son royaume
    sur la gare de triage où crèvent les wagons
    sur les hangars géants qui massacrent l’horizon
    Nous attendons la sanction, sans sortir la tête
    comme des boy-scouts dans des blockhaus bloqués par la tempête

    Je suis rentré fauché, comme à la fin de chacun de mes voyages, j’ai traversé les campagnes de France « à l’heure où les hommes plissent les yeux pour voir les blés dans la lumière du jour », le nez contre la vitre du bus, pensant déjà au prochain périple.

    Manu – Zuunzug

    ***

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  • Zuunzug : The Time is Stretching

    The Time is Stretching, notre premier disque, est maintenant disponible ! Il contient La Transe du Transsibérien en version instrumentale et en version vocale, Horizons et bien sûr le morceau-titre, The Time is Stretching. Un feuillet contenant le texte de La Transe, écrit dans le Transsibérien en Juin 2017, est inséré dans chaque CD. Visuellement et musicalement, ce disque nous a largement été inspiré par les steppes de l’Arkhangai, en Mongolie, que nous avons parcouru peu de temps avant de prendre le fameux train…

    Commandes et téléchargements sur la page Bandcamp du groupe : The Time is Stretching, by Zuunzug

    Merci à tous !

    Manu & Malka / Zuunzug

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  • Broken World V

    « Je contourne les lois d’un peuple jusqu’à ce que j’aie pu rassembler toutes mes forces pour les renverser. » (Max Stirner)

    « Le meilleur des gardiens de prison est le prisonnier… pour peu qu’on lui donne un fusil et un gallon. » (Augustin Gomez-Arcos)

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    Décembre 2019

    « Gibier de garni, obligé pendant des années, d’accepter n’importe quel trou pour alcôve, et de ne rentrer dans ces trous là qu’à des heures toujours noires, de peur de l’insomnie ou de la logeuse. » (Jules Vallès)

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    « La romantisation de la quarantaine est un privilège de classe ! »
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    Déjà avant le confinement…

    « A travers mes hontes et mes déceptions, j’avais gardé l’espoir que la place publique me vengerait un matin… Sur cette place publique, on vient de me rosser comme plâtre ; j’ai les reins moulus et le cœur las ! » (Jules Vallès)

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    D’un côté, les confinés des villas, qui télétravaillent un orteil dans la piscine ; de l’autre, les invisibles du quotidien, soignants, agents de surface, caissières de supermarché et salariés de la logistique… » (R. Lambert, P. Rimbert – Le Monde Diplomatique)

    « So don’t cry for me for I’m going away / And I’ll be back some lucky day. » (« Alors ne pleurez pas pour moi parce que je m’en vais / je reviendrai un jour de chance ») (Tom Waits)

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    « Le désespoir est une forme supérieure de la critique. » (Léo Ferré)

    « Les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques les pensées dominantes, autrement dit la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est aussi la puissance dominante spirituelle. La classe qui dispose des moyens de la production matérielle dispose, du même coup, des moyens de la production intellectuelle, si bien que, l’un dans l’autre, les pensées de ceux à qui sont refusés les moyens de production intellectuelle sont soumises du même coup à cette classe dominante. Les pensées dominantes ne sont pas autre chose que l’expression idéale des rapports matériels dominants, elles sont ces rapports matériels dominants saisis sous forme d’idées, donc l’expression des rapports qui font d’une classe la classe dominante ; autrement dit, ce sont les idées de sa domination. » (Karl Marx)

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    « Il croise des troupeaux de prolétaires, vieux, femmes, enfants, revenant des bagnes capitalistes quotidiens, voûtés sous leur sordide destinée. […] Mais la mort est la mort, c’est connu depuis la vie. » (Jules Laforgue)
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    « Les travailleurs ont entre les mains la puissance la plus formidable, s’ils en prenaient une fois conscience et voulaient la mettre en œuvre, rien ne leur résisterait. » (Max Stirner)
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    Montluçon, 30.12.19

    « When you asked me how I was doing, was that some kind of joke? » (« Quand tu m’as demandé comment j’allais, était-ce une sorte de blague ? ») (Bob Dylan)

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    « Je me sens coupable d’être né français, de parent français, d’arrière arrière etc… grands parents français, dans un pays où les indigènes pendant l’occupation allemande, écrivirent un si grand nombre de lettres de dénonciation, que les nazis les plus compétents & les mieux expérimentés en matière de cruauté & de crimes contre l’humanité, en furent stupéfaits & même un peu jaloux… » (Hubert-Félix Thiéfaine)
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    Janvier 2020, Paris

    « La liberté ne se donne pas, elle se prend. » (Reine Malouin)

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    « L’Etat ne peut être vaincu réellement que par l’arbitraire impudent. » (Max Stirner)

    « Ni jour, ni nuit, Messieurs, ni hiver, ni printemps, ni été, ni automne, et autres girouettes. Aimer, rêver, sans changer de place, au frais des imperturbables cécités. Ô monde de satisfaits, vous êtes dans la béatitude aveugle et silencieuse, et nous, nous desséchons de fringales supra-terrestres. Et pourquoi les antennes de nos sens, à nous, ne sont-elles pas bornées par l’Aveugle et l’Opaque et le Silence, et flairent-elles au-delà de ce qui est de chez nous ? Et que ne savons-nous aussi nous incruster dans notre petit coin pour y cuver l’ivre-mort de notre petit Moi ? » (Jules Laforgue)

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    Mars 2020, still alive.

    « Si je ne peux pas danser, je ne veux pas prendre part à votre révolution. » (Emma Goldman)

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