• Retour en Croatie

    (Sur un air de sevdah – part. 5)

    ***

    Comme précisé dans les premiers posts de Sur un air de sevdah, cette série d’articles relate deux voyages différents effectués en avril-mai et juillet-août 2025. Pour cet article, nous remontons au mois d’avril et donc au tout début des voyages, avec un texte écrit cette fois-ci par Malka, qui était de cette partie du périple !

    ***

    Retour en Croatie

    La dernière fois que j’étais passée en Croatie, c’était à Zagreb, escale entre deux bus.

    Je quittais la Bosnie, j’y laissais Manu, et j’étais mélancolique. J’avais espéré que cette étape serait une prolongation du voyage, mais tout ce que je voyais me faisait regretter les ambiances que je quittais, et me rappelait la proximité de l’Europe occidentale. Après une nuit chère payée, j’ai pris le bus pour rentrer. Je me suis dit que je n’avais peut-être plus très envie d’aller dans ce pays.

    Mais je suis retournée en Croatie cette année. Et cette fois on y est allés à cinq, en famille, dans une vieille voiture. Manu était déjà à l’Est (pour changer !) quand on est partis, et on avait prévu de s’y rejoindre. En voiture, tout est différent. En famille aussi. On a parcouru environ 3 000 km en moins de deux semaines, donc on a vu beaucoup de route ! On est aussi allé dans des endroits touristiques que j’évitais toujours – heureusement, c’était en avril. Et, je dois avouer que, pour certaines destinations, ça valait le coup.

    ***

    À Pula, on a retrouvé Manu. On n’a pas adoré Pula. Je voyais la déception de celles et ceux avec qui j’étais venue et qui découvraient la Croatie, et elle m’a rappelé avec amusement ma propre déception, la toute première fois que je suis venue dans ce pays, quand on a débarqué à Rijeka. Je me rappelle m’être dit : pourquoi faire tout ce chemin, pourquoi sacrifier des choses et du temps pour venir jusqu’ici, alors que c’est si semblable à chez moi ? Qu’est-ce que je vais bien pouvoir trouver de plus ou de différent ici ?

    C’est une pensée de consommatrice, pas vrai ? Est-ce qu’on cherche dans le voyage à s’acheter du dépaysement, à bouffer de l’ailleurs, et pourquoi ?

    J’ai eu l’impression que les mêmes questions étaient dans l’air : pourquoi faire toutes ses heures de voiture… Pour arriver ici ? Mais ces questions ne m’envahissaient plus. Au contraire, j’y suis retournée, plusieurs fois, en Croatie et dans ses pays voisins. Pour y chercher quoi ? Je ne sais pas, peut-être rien de précis, peut-être ce sentiment de familiarité joyeuse, comme un retour à la maison qui n’est pas la maison…

    ***

    Je n’avais jamais été sur aucune île en Croatie. Ensemble (mais sans Manu, qui est resté pour longer la côte adriatique), on est allés sur l’île de Cres. A la fin du voyage, on s’est partagé notre meilleur souvenir, et celui-ci était commun à plusieurs d’entre nous : on a dû patienter deux heures avant le départ du ferry, et on a attendu sur une petite plage de cailloux. Chercher quels sont les plus jolis cailloux d’une plage sous le soleil d’avril, quoi de mieux ? Ça valait bien des heures de voiture !

    De Cres, j’en garde un souvenir qui ressemble un peu à un rêve car je n’arrive pas à le relier au reste (ce qui est assez logique pour une île, finalement) : des cailloux, des chèvres sauvages, l’ambiance méditerranéenne. Mais j’ai presque l’impression que c’est un autre voyage.

    Et c’est ensuite à Saborsko, ou plus précisément à la gare de Plaški, qu’on a retrouvé Manu de nouveau. Eh oui, on a dit : « destinations touristiques », alors évidemment, les lacs de Plitvice en faisaient partie… Bon ben ça, par exemple, ça valait le coup.

    ***

    À Saborsko, on logeait dans une maison agréable chez des personnes adorables, mais mon neveu de 6 ans ne s’y sentait pas bien, il se plaignait d’une odeur de fumée que personne d’autre ne sentait. Peut-être a-t-il perçu que cet endroit n’a pas toujours été une escale touristique pour aller contempler des cascades. À partir de l’hiver 1991 et pendant 4 ans, comme c’est joliment suggéré sur le site saborsko.net dédié à la culture et à l’histoire locale : « Ljudi su ostali bez svoje zemlje, a zemlja bez svojih ljudi. » (Les habitants se sont retrouvés sans leur terre, et la terre sans ses habitants). Le village a été presque complètement détruit, puis reconstruit.

    À Plaški, la voiture nous a laissé, Manu et moi, pour un petit détour en train. D’abord un vieux train, abîmé, perdu, et vide : le rêve ! Puis un deuxième, plus récent, mais qui s’arrêtait à chaque petite ou grande station. Ça nous a donné envie de le reprendre un jour si on retourne par là-bas, et de s’attarder sur cette ligne : Ogulin, Vrbovsko, Vrata… On est descendus au terminus, à Rijeka.

    Et c’est à Rijeka que la boucle s’est refermée. J’étais contente de retrouver avec Manu cette ville que j’avais rencontrée pour la première fois avec si mauvaise humeur. Rien n’est jamais stable, rien n’est jamais pareil, et revenir sur ses pas est le meilleur moyen de s’en rendre compte, pour peu qu’on soit attentifs. Même quand ça à l’air pareil, c’est pas pareil. Même les personnes que nous étions n’étaient plus les mêmes. Donc clairement, non, un lieu ne se consomme pas, et le dépaysement peut se construire progressivement, main dans la main avec le familier, le connu jamais vraiment connu.

    Le lendemain j’ai retrouvé le groupe familial et la voiture à Kastav, un village proche de Rijeka, et on est repartis sur les routes en direction du retour, des autoroutes, des restos d’étape, des pistaches italiennes, des Alpes, des lacs, à l’écoute des sons émanant de la voiture qui faisait preuve à cet égard de plus en plus de créativité… Et Manu, lui, est resté à l’Est, pour changer.

    Texte : Malka / Photos : Manu (sauf photo île de Cres : Delphine)

    . . .

  • Épisode 26 : Rijeka (& Milan)

    6 – 9 novembre 2022 (kilomètre 6286, kilomètre 6769)

    ***

    Puisque j’étais repassé par Zadar, pourquoi ne pas repasser aussi par Rijeka, la ville qui m’avait ouvert la porte des Balkans en 2021 ? Je finissais ainsi mon long voyage de 2022 là où avait commencé celui, plus court, de l’année précédente. L’étape qui suivrait, Milan, ne serait qu’un court arrêt pour ne pas avoir à faire le trajet d’une traite et rester plus de 20 heures d’affilée dans le bus…

    Je n’ai pas grand chose à dire de ces derniers jours de voyage, ils sentaient vraiment la fin et, d’une certaine manière, je n’étais déjà plus vraiment « dedans ». Je n’aime pas les fins de voyages.

    En attendant le tout dernier article, dans lequel je ferai un petit bilan de ce long périple, voici un ultime enregistrement de terrain et quelques photos de Rijeka, encore une superbe ville.

    Ambiance dans le port de Rijeka :

    . . .

  • Rijeka

    13 – 16 juillet 2021

    ***

    Entre la fermeture des lieux de sociabilité, les couvre-feux et les confinements, la saison 2020-2021 ne fut pas des plus fantastiques. Aussi, dès qu’il est redevenu possible de voyager, de quitter le pays, on ne s’est pas fait prier.
    Pourtant, les restrictions liées au Covid-19 étaient encore présentes dans de nombreux pays et, alors que l’on avait prévu de partir au Portugal, Lisbonne a soudainement mis en place pléthore de mesures pour limiter la propagation du virus. Résultat, le Portugal est devenu – pour la première fois – plus restrictif en terme de liberté que la France qui, à ce moment-là, accélérait le processus de déconfinement.

    Hors de question de voyager pour retrouver les couvre-feux et les limitations de déplacements, nous avons donc changer de cap et, quasiment en dernière minute, décidés de partir en Croatie. Pourquoi ? Parce qu’un bus pas cher pouvait nous emmener jusqu’à Rijeka, sur la côte Adriatique, à quelques trente-cinq kilomètres au-delà de la frontière slovène, et que la Croatie ne semblait pas trop tatillonne en terme de « mesures sanitaires ». Nous sommes donc partis pour cette ville dont nous ne savions rien, le 12 juillet 2021, en nous disant que l’on déciderait une fois là-bas de la suite de notre voyage.

    La date de notre départ coïncidait avec le jour des nouvelles annonces de Macron et nous avons appris, effarés, la mise en place du pass sanitaire en France alors que nous étions entre deux montagnes dans les Alpes, tout près de l’Italie.
    Quelques heures plus tard, nous regardions Venise au loin de nos yeux lourds d’insomnies, puis nous arrivions à Rijeka en fin de matinée, épuisés par une nuit blanche et plus de quinze heures de bus.

    Rijeka

    « Port et ville industrielle, aux rues rectangulaires et aux maisons noires, c’est la seule localité de la côte qui n’ait aucun attrait pour les touristes. »
    Paul Garde, Vie et Mort de la Yougoslavie, 1992.

    Si, en trente ans, le tourisme s’est développé à Rijeka, il est vrai que c’est loin d’être la ville la touristique de la côte Adriatique, ce qui nous allait très bien ! Elle a eu l’honneur et la malchance d’être désignée « capitale européenne de la culture » pour l’année 2020, mais évidemment cette année-là…

    Située au bord de l’Adriatique, à l’extrémité Nord du golfe de Kvarner et possédant l’un des plus grands ports de la région, Rijeka a toujours attiré les convoitises. Intégrée à la Yougoslavie en 1947 après avoir fait partie de l’Italie (sous le nom de Fiume) et, il y a encore plus longtemps, de l’Empire d’Autriche, elle devient logiquement croate à l’indépendance du pays, en 1991.

    Nous sommes restés trois jours à Rijeka, ce qui est peu pour découvrir la ville, mais nous avons tout de même eu le temps de gravir les 561 marches de l’escalier menant à la forteresse de Trsat, d’où la vue sur la ville est magnifique. C’est aussi un quartier vraiment sympa, plus populaire et un peu moins prisé que le centre-ville.
    Pour la baignade, il faut s’éloigner du cœur de ville. En longeant la mer vers l’est en partant du port de plaisance, on trouve facilement des petites plages ou des criques, parfois bitumées mais toujours propice à la nage ou à la farniente.
    À Rijeka, nous avons aussi découvert le concept des « apartmani », sorte de Airbnb à la croate, l’option la moins chère et la plus « locale » pour se loger, avec bien souvent un appartement entier pour soi. On utilisera presque uniquement ce type d’hébergement durant tout le voyage.

    La suite : Zadar (ou Luka Modrić, l’orgue et le sphinx).

    . . .