• Rijeka

    13 – 16 juillet 2021

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    Entre la fermeture des lieux de sociabilité, les couvre-feux et les confinements, la saison 2020-2021 ne fut pas des plus fantastiques. Aussi, dès qu’il est redevenu possible de voyager, de quitter le pays, on ne s’est pas fait prier.
    Pourtant, les restrictions liées au Covid-19 étaient encore présentes dans de nombreux pays et, alors que l’on avait prévu de partir au Portugal, Lisbonne a soudainement mis en place pléthore de mesures pour limiter la propagation du virus. Résultat, le Portugal est devenu – pour la première fois – plus restrictif en terme de liberté que la France qui, à ce moment-là, accélérait le processus de déconfinement.

    Hors de question de voyager pour retrouver les couvre-feux et les limitations de déplacements, nous avons donc changer de cap et, quasiment en dernière minute, décidés de partir en Croatie. Pourquoi ? Parce qu’un bus pas cher pouvait nous emmener jusqu’à Rijeka, sur la côte Adriatique, à quelques trente-cinq kilomètres au-delà de la frontière slovène, et que la Croatie ne semblait pas trop tatillonne en terme de « mesures sanitaires ». Nous sommes donc partis pour cette ville dont nous ne savions rien, le 12 juillet 2021, en nous disant que l’on déciderait une fois là-bas de la suite de notre voyage.

    La date de notre départ coïncidait avec le jour des nouvelles annonces de Macron et nous avons appris, effarés, la mise en place du pass sanitaire en France alors que nous étions entre deux montagnes dans les Alpes, tout près de l’Italie.
    Quelques heures plus tard, nous regardions Venise au loin de nos yeux lourds d’insomnies, puis nous arrivions à Rijeka en fin de matinée, épuisés par une nuit blanche et plus de quinze heures de bus.

    Rijeka

    « Port et ville industrielle, aux rues rectangulaires et aux maisons noires, c’est la seule localité de la côte qui n’ait aucun attrait pour les touristes. »
    Paul Garde, Vie et Mort de la Yougoslavie, 1992.

    Si, en trente ans, le tourisme s’est développé à Rijeka, il est vrai que c’est loin d’être la ville la touristique de la côte Adriatique, ce qui nous allait très bien ! Elle a eu l’honneur et la malchance d’être désignée « capitale européenne de la culture » pour l’année 2020, mais évidemment cette année-là…

    Située au bord de l’Adriatique, à l’extrémité Nord du golfe de Kvarner et possédant l’un des plus grands ports de la région, Rijeka a toujours attiré les convoitises. Intégrée à la Yougoslavie en 1947 après avoir fait partie de l’Italie (sous le nom de Fiume) et, il y a encore plus longtemps, de l’Empire d’Autriche, elle devient logiquement croate à l’indépendance du pays, en 1991.

    Nous sommes restés trois jours à Rijeka, ce qui est peu pour découvrir la ville, mais nous avons tout de même eu le temps de gravir les 561 marches de l’escalier menant à la forteresse de Trsat, d’où la vue sur la ville est magnifique. C’est aussi un quartier vraiment sympa, plus populaire et un peu moins prisé que le centre-ville.
    Pour la baignade, il faut s’éloigner du cœur de ville. En longeant la mer vers l’est en partant du port de plaisance, on trouve facilement des petites plages ou des criques, parfois bitumées mais toujours propice à la nage ou à la farniente.
    À Rijeka, nous avons aussi découvert le concept des « apartmani », sorte de Airbnb à la croate, l’option la moins chère et la plus « locale » pour se loger, avec bien souvent un appartement entier pour soi. On utilisera presque uniquement ce type d’hébergement durant tout le voyage.

    La suite : Zadar (ou Luka Modrić, l’orgue et le sphinx).

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  • Split

    19 – 24 juillet 2021

    On nous avait prévenus que Split était une ville très touristique mais, après Rijeka et Zadar qui avaient été plutôt tranquilles à ce niveau-là, on s’est dit qu’on était peut-être tombés sur une année calme, ce qui n’était pas impossible étant donné la « crise sanitaire » en cours, mais on s’est vite aperçu que ce n’était pas le cas.

    Niveau tourisme, Split n’a en effet rien à voir avec les deux villes précédentes. Sur l’échelle de la fréquentation touristique (que j’invente pour l’occasion), elle approche plutôt dangereusement du niveau « Venise », c’est à dire de la valeur maximale. Du coup, une des premières choses à faire en arrivant, c’est de repérer les coins à touristes, et de ne pas y aller !

    Dans le Palais de Dioclétien par exemple, l’immense demeure impériale construite au tout début du IVème siècle et composée de plus de deux cents bâtiments (une vraie « ville dans la ville »), il est à peu près impossible de se déplacer normalement au mois de juillet, on se retrouve immanquablement bloqués au milieu d’un flot de touristes, tous serrés les uns contre les autres, dans des allées délimitées de chaque côté par des stands de camelotes en tous genres. Emporté malgré soi par la foule, on avance et finit par tomber nez à nez avec des types déguisés en Romains prenant des selfies avec les vacanciers et donnant un côté « Parc Astérix » à tout ça.

    Le reste du centre-ville est du même style, beaucoup de monde et beaucoup d’artifices, difficile de vraiment s’y sentir bien quoique plein de gens semblent adorer ça. Après un ou deux jours à nous perdre régulièrement dans le quartier, nous avons appris à le contourner et l’avons surnommé « l’enfer », mais avouons ici qu’il s’agit d’un enfer plutôt classe…

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    Un touriste qui ne veut pas croiser d’autres touristes se rend vite compte d’une chose : tous les touristes vont au même endroit. Il est donc tout à fait possible, même à Split, de trouver des coins tranquilles et préservés, il faut juste chercher un peu.

    Une des choses à faire, c’est de contourner le Palais et le centre-ville et d’aller se perdre dans le park-šuma Marjan (parc forestier Marjan), en haut de la colline du même nom. Une fois là, on peut faire une longue randonnée ou bien pique-niquer à l’ombre des pins, on peut aussi monter jusqu’au plus haut sommet du parc, le pic Telegrin, pour y apprécier la vue panoramique sur la ville et la mer, ou redescendre la colline par le Nord et profiter des petites plages sauvages perdues ici et là dans un décor absolument sublime, entre mer, montagne et forêt. Pas loin, le Kavana Procaffe et les alentours du port valent aussi le détour…

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    Nous sommes restés cinq jours à Split en nous logeant dans deux lieux différents : un internat reconverti en hostel pour l’été et l’auberge de jeunesse la moins chère de la ville. Nous avons visité le Musée des beaux-arts (Galerija umjetnina Split) et le Musée ethnographique (Etnografski muzej Split), tous les deux très intéressants. Plus tard, dans un bar-restaurant, nous avons assisté au concert loufoque d’un trompettiste qui jouait sur une bande-son tandis que des clips des années 80 défilaient sur un écran derrière lui. Une autre nuit, nous avons bu des Karlovačko et des Ožujsko (les deux bières de base en Croatie) en regardant les gens bien sapés se rendre en soirée par la zlatna vrata (porte d’or) du Palais et nous avons aussi été dans un bar cool, le Senna, pour assister à un match de l’Hajduk Split, le principal club de foot de la ville.

    L’Hajduk a eu ses heures de gloire, comme en atteste les innombrables graffitis qui lui sont dédiés dans toute la ville – la ferveur autour de ce club est assez dingue – mais il n’a plus remporté de trophée majeur depuis longtemps et il ne disputait ce soir-là qu’un modeste barrage de qualification pour la Ligue Europa Conférence contre une équipe kazakhe, un barrage qu’il a d’ailleurs perdu au match retour !

    Bref, tout ce que l’on avait entendu sur Split était vrai : c’est une cité magnifique bâtie dans un lieu idyllique, mais c’est aussi une ville qui prend parfois des allures de parc d’attraction à cause de sa surfréquentation touristique. Par contre, un peu comme pour Zadar et sa passerelle Gradski, il n’y a en vérité qu’une partie de la ville qui soit toute entière dédiée au tourisme, le reste de Split est relativement préservé.

    Mais au final, cette plongée dans le « surtourisme » nous aura convaincu de ne pas continuer sur la côte dalmate, car la ville qui aurait logiquement suivie était Dubrovnik, et qu’on nous avait dit que c’était encore pire ! Nous avons donc décidé d’aller nous perdre quelque part où il n’y aurait pas grand monde, dans une petite ville beaucoup, beaucoup moins connue…

    La suite dans l’épisode 4.

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  • Osijek

    1 – 4 août

    Après la côte Adriatique, la Lika et Zagreb, j’ai continué mon exploration des différentes régions du pays en me rendant à Osijek, la plus grande ville de Slavonie, province la plus orientale de Croatie, voisine de la Serbie, de la Hongrie et de la Bosnie.

    Osijek est située sur la rive droite de la Drave, rivière qui prend sa source en Italie et se jette dans le Danube à une vingtaine de kilomètres à l’est de la ville, le fleuve marquant alors la frontière naturelle entre la Croatie et la Serbie.
    La Slavonie, peu vallonnée, est essentiellement une région de plaines et de rivières où les champs de blé s’étendent sur des kilomètres au bord des routes, elle offre donc un décor assez différent de ce que j’avais vu jusqu’ici en Croatie. C’est aussi une province bien moins courue des touristes étrangers et on n’y entend plus parler anglais partout. Un bon endroit, donc, pour enrichir un peu son répertoire de mots croates !

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    Je suis arrivé à Osijek en fin d’après-midi et j’ai marché de la gare jusqu’au quartier résidentiel où j’avais réservé un logement pour trois nuits. Alors que je galérais avec mon gros sac sous un soleil de plomb, un orage a subitement éclaté et je suis arrivé trempé à la Guest House Talas.

    Le propriétaire des lieux a appelé son fils pour qu’il fasse le traducteur car lui ne parlait pas un mot d’anglais, il a en revanche bien rigolé en décryptant ma carte d’identité, mes prénom, deuxième prénom et patronyme me donnant un nom à rallonge qui le faisait halluciner sur les blases interminables des francuski (français) ! Puis il m’a remis ma clef et je me suis retrouvé dans une grande chambre, la seule occupée au rez-de-chaussée de cette sorte de maison d’hôtes à l’ambiance plutôt relaxe et familiale.

    Trois jours (à peine) pour découvrir une ville, c’est toujours trop peu, surtout pour moi qui aime flâner… Alors selon où je loge, ce que je remarque en premier ou ce dont j’ai entendu parler, j’ai tendance à me concentrer sur quelques quartiers en particulier. Dans le cadre d’Osijek, ça a été la vieille ville et les alentours de la Drave.

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    La vieille ville d’Osijek se tient en une dizaine de rues et ruelles qui constituaient auparavant l’intérieur du fort Tvrđa, construit au XVIIIème siècle au bord de la Drave pour protéger la ville. À Tvrđa, on passe de l’église baroque Svetog Mihaela (Saint-Michel) et des imposants bâtiments de la place principale (Trg Svetog Trojstva) à de petites allées pavées bordées de longues bâtisses aux murs dont la peinture s’écaille. Entre deux logements abandonnés ou en travaux, on trouve des musées, des écoles, des restaurants, c’est un quartier très contrasté et étonnant, j’ai vraiment beaucoup aimé.

    En plein après-midi, sous le soleil écrasant du mois d’août, la vieille ville prend même des airs d’Andalousie avec ses statues de saints catholiques et ses bâtiments blanc et jaune ocre baignés dans une lumière éclatante. Un côté western aussi, du fait des nombreuses bâtisses délabrées, des réverbères aux ampoules brisées et des rues retournées par les travaux de rénovation. (Voir Broken World VII)

    C’est ici que j’ai visité le Musée de la Slavonie pour la modique somme de 20 kunas (environ 2€70), un très grand musée dans lequel on peut voir à peu près tout ce qui a été découvert ou fabriqué en Slavonie depuis que le monde est monde, des os de dinosaures jusqu’aux stylos promotionnels d’une banque locale.

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    Pour ma deuxième soirée à Osijek, j’ai voulu aller pique-niquer sur les rives de la Drave mais cela s’est avéré impossible à cause des moustiques, en très forte supériorité numérique et méchamment agressifs. J’ai dû m’enfuir vers le fort en une retraite pathétique, battant des mains dans les airs comme un fou luttant contre un ennemi imaginaire…

    Dans la journée, j’étais passé sur la rive gauche pour aller « visiter » les catacombes. Tout près, il y avait un des monuments dédiés aux habitants de la ville tués durant la guerre de Croatie (qu’on appelle ici domovinski rat, « guerre de la patrie ») et j’y avais pris une claque en voyant les centaines de noms inscrits dessus. Les horreurs de la guerre ne sont quasiment plus visibles sur la côte ou à Zagreb, mais il est difficile d’y échapper en Slavonie, et pour cause, ce fut la région la plus touchée du pays.

    Les combats à Osijek furent intenses mais la ville ne fut jamais prise. Au carrefour de la rue Kneza Trpimira et de la route de Vukovar, l’installation artistique de la « Fiat rouge » (Fićo gazi tenka!), détournement d’un événement ayant réellement eu lieu, est là pour rendre hommage à la résistance des habitants d’Osijek !

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    Arrivé le 1er août au soir et reparti le 4 en début d’après-midi, je n’ai en définitive passé que deux jours pleins à Osijek, un court séjour pendant lequel il m’a aussi fallu planifier la suite de mon voyage et en partie mon retour en France, qui approche dangereusement. Ce sont les joies du voyage improvisé, il faut de temps en temps se réserver des créneaux pour décider de la suite à donner au périple et s’organiser un peu !

    Le jour de mon départ, après avoir pris un café dans un bar bien punk, j’ai traîné sur un des petits marchés de la ville puis je me suis posé sur un banc dans un parc d’où j’ai vu une bande d’anciens débattre à grands gestes devant ce qui me semblait être un saloon, car Osijek a définitivement un petit côté « Far East »… Enfin, j’ai acheté un börek dans une pekara puis j’ai attendu à la gare routière, debout au milieu de tous ces gens en partance ou en transit, leurs sacs sur le dos ou à la main, prêts à quitter la ville.

    Episode 7 : Vukovar.

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