Comme l’an dernier, Zuunzug a passé une grand partie de son été en Europe de l’Est. En Roumanie, Hongrie, Bosnie et Serbie, principalement. En solo ou à deux, nous avons pu assister cette année à de nombreux concerts et la musique a clairement été présente tout au long du voyage : concert d’ambient dans un ruin bar de Budapest (Hongrie), festival JAZZx à Timișoara (Roumanie), Nišville Jazz Festival à Niš (Serbie), découverte de la Sevdah Art House à Sarajevo et concert de Zabranjeno Pušenje à Travnik (Bosnie), sans oublier un festival de danses folkloriques organisé entre Užice et Višegrad !
Les découvertes ayant été nombreuses, nous allons consacrer deux ou trois articles à présenter quelques groupes. Le premier, dont j’ai déjà parlé dans un précédent article, est Mammal Hands.
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Mammal Hands est un trio de jazz (saxophone, piano, batterie) formé en 2012 à Norwich, en Angleterre. Depuis 2014, le groupe a sorti 5 albums, tous sur le label Gondwana Records (Animalia 2014, Floa 2016, Shadow Work 2017, Captured Spirits 2020, Gift From the Trees, 2023). Mammal Hands se produit régulièrement sur scène, en Europe et ailleurs.
J’ajoute en passant qu’un de nos field recordings a été publié sur la dernière compilation du label Engram Recordings : Radio Engram: Volume 1. Il s’agit d’un enregistrement réalisé l’année dernière dans les rues de Skopje, en Macédoine du Nord.
Le Bojan Z Trio au Paris Jazz Festival en 2004. Bojan Zulfikarpašić au piano, Rémi Vignolo à la contrebasse, Nasheet Waits à la batterie.
Bojan Zulfikarpašić, plus connu sous le nom de Bojan Z, est un pianiste de jazz né à Belgrade en 1968. Au carrefour des années 90, il s’installe en France et c’est ici qu’il sortira ses premiers disques. Trente ans plus tard, il a publié une bonne douzaine d’albums (sous son nom de naissance ou sous Bojan Z, Bojan Z Trio, Bojan Z Quartet ou encore Bojan Z Tetraband) et réalisé des concerts dans le monde entier.
Groznjan Blue est un morceau extrait de son album Transpacifik, Groznjan est une ville d’Istrie, en Croatie. Pour pousser plus loin concernant Bojan Z, je conseille l’album Koreni, sorti en 1999, qui mixe à merveille les sonorités du jazz et de la musique traditionnelle des Balkans.
« Penses-tu qu’ils vont le mettre à la porte ? » a demandé Slim, rendu curieux, pis l’homme a répondu : « Henry ? S’ils vont le mettre à la porte ? » Là, j’ai eu peur qu’il reparte pis qu’il revienne plus. « Tu veux dire Henry ? » pis il a regardé ailleurs en baissant la tête, il avait l’air trop fatigué pour faire autre chose que de baisser la tête. « Je te le dis, il a le record mondial pour ça. Il s’est fait mettre à la porte plus souvent qu’il a été engagé ».
Pic, dernier roman de Jack Kerouac, terminé en 1969 et publié deux ans tard à titre posthume, est un livre bien particulier dans la bibliographie du « King of the Beats ». S’il reprend tous les thèmes chers à l’auteur – le stop, le jazz, l’errance, la pauvreté – ce n’est pas par le biais des virées de Sal Paradise, Ray Smith ou encore Jackie Duluoz, les alter ego de Jack dans ses précédents livres, mais à travers les aventures d’un jeune orphelin noir de Caroline du Nord, Pictorial Review Jackson, dit Pic.
À la mort de son grand-père, Pic doit aller vivre chez sa tante dans une grande maison accueillant une douzaine de membres de la famille. Mais le jeune garçon est détesté par le vieil oncle aveugle, ainsi que par plusieurs autres membres du foyer, à cause d’une histoire liée à son père, que Pic n’a pas connu. Il n’a pas beaucoup connu sa mère non plus, morte quand il était jeune, et à peine plus son grand frère, parti sans prévenir il y a longtemps. C’est pourtant de ce frère, Slim, que viendra la libération. Arrivé tout droit de New York, il vient se proposer pour adopter le petit Pic et l’emmener vivre à la ville avec lui. Devant l’hostilité de la famille pour ce projet, Pic et Slim devront attendre la nuit pour filer par la fenêtre, sous le regard complice de leurs cousins…
Pour rendre son Pic crédible, Kerouac a écrit tout son roman dans le dialecte des Noirs du Sud des États-Unis, cette même manière de parler à laquelle il avait emprunté le mot beat, comme il l’a toujours précisé dans ses interviews. Pour la version française, le roman a été traduit en québécois, une idée géniale qui aurait sûrement beaucoup plu à Kerouac, dont c’était la langue maternelle. Le narrateur étant Pic lui-même, l’histoire est racontée de manière très enfantine, c’est drôle et émouvant, joyeux et triste, tout comme l’est le jeune orphelin vagabond sur les routes, voyageant avec Slim de la Caroline du Nord à New York puis de New York à San Francisco. La traversée du continent est expédiée en quelques pages mais elle ne peut malgré tout que rappeler celles de Jack dans Sur La Route. On y retrouve d’ailleurs le « fantôme de la Susquehanna », un clochard solitaire présent dans Route, et qui a ici droit à un chapitre à son nom ainsi qu’à un long monologue farfelu. Ce même « fantôme » parle d’ailleurs d’un « jeune homme » avec qui il a marché « il y a trois ans », et qui pourrait tout à fait être Jack. Il y a aussi ce type en sueur qui s’agite, encourage en hurlant les musiciens dans un bar à jazz et ressemble beaucoup à Neal Cassady, le héros du roman de 1957… Les similitudes avec Route sont nombreuses et on peut même avoir parfois l’impression que Pic en est une sorte de réécriture, en beaucoup plus rapide (quelques heures de lecture) et à travers les yeux d’un enfant de dix ans. Il paraît que Kerouac avait un moment envisagé de faire se rencontrer Pic, Slim, Sal Paradise et Dean Moriarty (Jack et Neal dans Sur La Route) à la fin du livre, avant de finalement renoncer. Cela aurait pourtant donné un sacré final à son œuvre !
S’il n’est pas le roman le plus important de Kerouac, Pic n’en est pas moins un livre prenant et attachant, conseillé aux grands comme aux petits, à lire sur le bord de la route en attendant qu’une voiture s’arrête ou une journée de farniente dans un jardin sous un grand soleil.
« C’est la seule façon de vivre, disait Slim, arrange-toi juste pour ne pas mourir.
Extraits : Pic de Jack Kerouac. Traduit par Daniel Poliquin. Éditions de La Table Ronde (1988)