« Le programme était vague, mais dans de pareilles affaires, l’essentiel est de partir […] Un voyage se passe de motifs. » Nicolas Bouvier, L’Usage du Monde
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Après Maribor, j’avais trois jours « de rabe » avant de devoir honorer une réservation à Osijek, dans l’est de la Croatie. La question était donc de savoir ce que j’allais faire de ces trois jours. Après pas mal d’hésitations, j’ai décidé d’atteindre Osijek en trois étapes, me déplaçant chaque jour en train et m’arrêtant chaque soir dans une nouvelle (petite) ville en passant par le nord de la Croatie. Cette région étant loin d’être la plus fréquentée, j’ai un peu galéré pour trouver des hébergements sur ma route, mais j’ai finalement pu me faire un itinéraire avec des stops dans ces trois villes : Ormož, en Slovénie ; Čakovec et Slatina, en Croatie.
Points d’orgues de ces différentes destinations : À Ormož, j’ai rencontré Anna la Russe, qui était tellement portée sur les questions existentielles et a tellement cherché à sonder mon âme qu’elle m’a donné envie de reprendre L’Idiot de Dostoïevski que j’avais délaissé depuis le début du voyage.
À Čakovec, mon premier contact a été un flic-douanier incroyablement haineux. Après avoir passé ce piteux boss de fin de niveau, j’ai créché dans une immense auberge de jeunesse où l’on n’était que deux. J’ai eu un dortoir pour moi tout seul…
À Slatina, j’ai dormi en haut d’une montagne dans un chalet. Je me suis perdu en y allant et me suis retrouvé au milieu des champs de vignes… Arrivé là-haut, il m’a fallu redescendre car il n’y avait pas de cuisine et que je n’avais qu’une conserve de goulasch à manger…
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Le 12 août, je dégringolais de nouveau ma montagne et reprenais le train pour aller retrouver la vieille ville d’Osijek…
« Ici, où que l’on se trouve, on est en partance même si on est déjà arrivé à destination. »LI JuanSaint-Malo, 20.03.2022« Considérer l’invisibilité comme un talent. Oublier sa propre existence dans la volonté de perdurer. Il avait toujours éprouvé, pour sa part, que penser constamment à un problème revenait à le résoudre. » Don DeLilloZagreb, 29.07.2021Fouras, 16.03.2022« Ils ont voté, ils voteront, comme on prend un barbiturique et ils ont mis la République au fond d’un vase à reposer / Les experts ont analysé ce qu’il y avait au fond du vase, il n’y avait rien… qu’un peu de vase. » Léo FerréRijeka, 14.07.2021« Fainéanter dans un monde neuf est la plus absorbante des occupations. » Nicolas Bouvier« Je parle des pierres plus âgées que la vie et qui demeurent après elle sur les planètes refroidies, quand elle eut la fortune d’y éclore. Je parle des pierres qui n’ont même pas à attendre la mort et qui n’ont rien à faire que laisser glisser sur leur surface le sable, l’averse ou le ressac, la tempête, le temps. »Roger CailloisAngoulins, 14.03.2022« La liberté appartient à qui se l’adjuge. »Max StirnerCancale, 21.03.2022« Mieux vaut une mauvaise histoire que pas d’histoire du tout. » Bekim Sejranović« Ah tout le monde s’en fout sauf le cœur dissimulé au beau milieu des Etats-Unis, qui réapparaîtra après la mort du dernier représentant de commerce. L’Amérique est un gros tas de merde solitaire. »Jack KerouacVukovar, 5.08.2021
Entre la fermeture des lieux de sociabilité, les couvre-feux et les confinements, la saison 2020-2021 ne fut pas des plus fantastiques. Aussi, dès qu’il est redevenu possible de voyager, de quitter le pays, on ne s’est pas fait prier. Pourtant, les restrictions liées au Covid-19 étaient encore présentes dans de nombreux pays et, alors que l’on avait prévu de partir au Portugal, Lisbonne a soudainement mis en place pléthore de mesures pour limiter la propagation du virus. Résultat, le Portugal est devenu – pour la première fois – plus restrictif en terme de liberté que la France qui, à ce moment-là, accélérait le processus de déconfinement.
Hors de question de voyager pour retrouver les couvre-feux et les limitations de déplacements, nous avons donc changer de cap et, quasiment en dernière minute, décidés de partir en Croatie. Pourquoi ? Parce qu’un bus pas cher pouvait nous emmener jusqu’à Rijeka, sur la côte Adriatique, à quelques trente-cinq kilomètres au-delà de la frontière slovène, et que la Croatie ne semblait pas trop tatillonne en terme de « mesures sanitaires ». Nous sommes donc partis pour cette ville dont nous ne savions rien, le 12 juillet 2021, en nous disant que l’on déciderait une fois là-bas de la suite de notre voyage.
La date de notre départ coïncidait avec le jour des nouvelles annonces de Macron et nous avons appris, effarés, la mise en place du pass sanitaire en France alors que nous étions entre deux montagnes dans les Alpes, tout près de l’Italie. Quelques heures plus tard, nous regardions Venise au loin de nos yeux lourds d’insomnies, puis nous arrivions à Rijeka en fin de matinée, épuisés par une nuit blanche et plus de quinze heures de bus.
Rijeka
« Port et ville industrielle, aux rues rectangulaires et aux maisons noires, c’est la seule localité de la côte qui n’ait aucun attrait pour les touristes. » Paul Garde, Vie et Mort de la Yougoslavie, 1992.
Si, en trente ans, le tourisme s’est développé à Rijeka, il est vrai que c’est loin d’être la ville la touristique de la côte Adriatique, ce qui nous allait très bien ! Elle a eu l’honneur et la malchance d’être désignée « capitale européenne de la culture » pour l’année 2020, mais évidemment cette année-là…
Située au bord de l’Adriatique, à l’extrémité Nord du golfe de Kvarner et possédant l’un des plus grands ports de la région, Rijeka a toujours attiré les convoitises. Intégrée à la Yougoslavie en 1947 après avoir fait partie de l’Italie (sous le nom de Fiume) et, il y a encore plus longtemps, de l’Empire d’Autriche, elle devient logiquement croate à l’indépendance du pays, en 1991.
Nous sommes restés trois jours à Rijeka, ce qui est peu pour découvrir la ville, mais nous avons tout de même eu le temps de gravir les 561 marches de l’escalier menant à la forteresse de Trsat, d’où la vue sur la ville est magnifique. C’est aussi un quartier vraiment sympa, plus populaire et un peu moins prisé que le centre-ville. Pour la baignade, il faut s’éloigner du cœur de ville. En longeant la mer vers l’est en partant du port de plaisance, on trouve facilement des petites plages ou des criques, parfois bitumées mais toujours propice à la nage ou à la farniente. À Rijeka, nous avons aussi découvert le concept des « apartmani », sorte de Airbnb à la croate, l’option la moins chère et la plus « locale » pour se loger, avec bien souvent un appartement entier pour soi. On utilisera presque uniquement ce type d’hébergement durant tout le voyage.