(Sur un air de sevdah – part. 6 / Il n’y a pas de fin – part. 15)
The roads never lead where they’re supposed to go(Les routes ne mènent jamais là où elles sont censées aller) est un vers extrait du morceau Drenched de Calexico, écrit par Joey Burns.
« Mois et jours sont passants perpétuels, les ans qui se relaient, pareillement sont voyageurs. Celui qui sur une barque vogue sa vie entière, celui qui la main au mors d’un cheval s’en va au-devant de la vieillesse, jour après jour voyage, du voyage fait son gîte. » Bashō
Podgorica 2MunichNikšić 1Lovran 1Nikšić 2
« Our endless and impossible journey toward home is in fact our home. » David Foster Wallace
Zagreb 1Zagreb 2GrazLacs de Plitvice 1Nikšić 3Brčko
« Au ras du sol s’allumaient des lumières, et le fleuve invisible appelait à lui, comme toujours, le peu de vie qui restait dans la ville […] la patrie de la Révolution était dans l’ombre verdâtre de ces fonderies […] et ces marcheurs misérables qui se perdaient dans la brume gluante où les lanternes devenaient de plus en plus nombreuses avançaient tous dans le sens du fleuve […] avec leurs gueules de défaites, présages chassés vers lui par la nuit menaçante. » André Malraux
Lacs de Plitvice 2Lovran 2Lovran 3Gradiška 1
« This part is my part of the movie, let’s hear yours. » Jack Kerouac
Gradiška 2
Photo en une : Nikšić 0
Lieux : Munich (Allemagne), Graz (Autriche), Brčko, Gradiška (Bosnie-Herzégovine), Lacs de Plitvice, Lovran, Zagreb (Croatie), Nikšić, Podgorica (Monténégro), Belgrade (Serbie)
Comme précisé dans les premiers posts de Sur un air de sevdah, cette série d’articles relate deux voyages différents effectués en avril-mai et juillet-août 2025. Pour cet article, nous remontons au mois d’avril et donc au tout début des voyages, avec un texte écrit cette fois-ci par Malka, qui était de cette partie du périple !
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Retour en Croatie
La dernière fois que j’étais passée en Croatie, c’était à Zagreb, escale entre deux bus.
Je quittais la Bosnie, j’y laissais Manu, et j’étais mélancolique. J’avais espéré que cette étape serait une prolongation du voyage, mais tout ce que je voyais me faisait regretter les ambiances que je quittais, et me rappelait la proximité de l’Europe occidentale. Après une nuit chère payée, j’ai pris le bus pour rentrer. Je me suis dit que je n’avais peut-être plus très envie d’aller dans ce pays.
Mais je suis retournée en Croatie cette année. Et cette fois on y est allés à cinq, en famille, dans une vieille voiture. Manu était déjà à l’Est (pour changer !) quand on est partis, et on avait prévu de s’y rejoindre. En voiture, tout est différent. En famille aussi. On a parcouru environ 3 000 km en moins de deux semaines, donc on a vu beaucoup de route ! On est aussi allé dans des endroits touristiques que j’évitais toujours – heureusement, c’était en avril. Et, je dois avouer que, pour certaines destinations, ça valait le coup.
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À Pula, on a retrouvé Manu. On n’a pas adoré Pula. Je voyais la déception de celles et ceux avec qui j’étais venue et qui découvraient la Croatie, et elle m’a rappelé avec amusement ma propre déception, la toute première fois que je suis venue dans ce pays, quand on a débarqué à Rijeka. Je me rappelle m’être dit : pourquoi faire tout ce chemin, pourquoi sacrifier des choses et du temps pour venir jusqu’ici, alors que c’est si semblable à chez moi ? Qu’est-ce que je vais bien pouvoir trouver de plus ou de différent ici ?
C’est une pensée de consommatrice, pas vrai ? Est-ce qu’on cherche dans le voyage à s’acheter du dépaysement, à bouffer de l’ailleurs, et pourquoi ?
J’ai eu l’impression que les mêmes questions étaient dans l’air : pourquoi faire toutes ses heures de voiture… Pour arriver ici ? Mais ces questions ne m’envahissaient plus. Au contraire, j’y suis retournée, plusieurs fois, en Croatie et dans ses pays voisins. Pour y chercher quoi ? Je ne sais pas, peut-être rien de précis, peut-être ce sentiment de familiarité joyeuse, comme un retour à la maison qui n’est pas la maison…
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Je n’avais jamais été sur aucune île en Croatie. Ensemble (mais sans Manu, qui est resté pour longer la côte adriatique), on est allés sur l’île de Cres. A la fin du voyage, on s’est partagé notre meilleur souvenir, et celui-ci était commun à plusieurs d’entre nous : on a dû patienter deux heures avant le départ du ferry, et on a attendu sur une petite plage de cailloux. Chercher quels sont les plus jolis cailloux d’une plage sous le soleil d’avril, quoi de mieux ? Ça valait bien des heures de voiture !
De Cres, j’en garde un souvenir qui ressemble un peu à un rêve car je n’arrive pas à le relier au reste (ce qui est assez logique pour une île, finalement) : des cailloux, des chèvres sauvages, l’ambiance méditerranéenne. Mais j’ai presque l’impression que c’est un autre voyage.
Et c’est ensuite à Saborsko, ou plus précisément à la gare de Plaški, qu’on a retrouvé Manu de nouveau. Eh oui, on a dit : « destinations touristiques », alors évidemment, les lacs de Plitvice en faisaient partie… Bon ben ça, par exemple, ça valait le coup.
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À Saborsko, on logeait dans une maison agréable chez des personnes adorables, mais mon neveu de 6 ans ne s’y sentait pas bien, il se plaignait d’une odeur de fumée que personne d’autre ne sentait. Peut-être a-t-il perçu que cet endroit n’a pas toujours été une escale touristique pour aller contempler des cascades. À partir de l’hiver 1991 et pendant 4 ans, comme c’est joliment suggéré sur le site saborsko.net dédié à la culture et à l’histoire locale : « Ljudi su ostali bez svoje zemlje, a zemlja bez svojih ljudi. » (Les habitants se sont retrouvés sans leur terre, et la terre sans ses habitants). Le village a été presque complètement détruit, puis reconstruit.
À Plaški, la voiture nous a laissé, Manu et moi, pour un petit détour en train. D’abord un vieux train, abîmé, perdu, et vide : le rêve ! Puis un deuxième, plus récent, mais qui s’arrêtait à chaque petite ou grande station. Ça nous a donné envie de le reprendre un jour si on retourne par là-bas, et de s’attarder sur cette ligne : Ogulin, Vrbovsko, Vrata… On est descendus au terminus, à Rijeka.
Et c’est à Rijeka que la boucle s’est refermée. J’étais contente de retrouver avec Manu cette ville que j’avais rencontrée pour la première fois avec si mauvaise humeur. Rien n’est jamais stable, rien n’est jamais pareil, et revenir sur ses pas est le meilleur moyen de s’en rendre compte, pour peu qu’on soit attentifs. Même quand ça à l’air pareil, c’est pas pareil. Même les personnes que nous étions n’étaient plus les mêmes. Donc clairement, non, un lieu ne se consomme pas, et le dépaysement peut se construire progressivement, main dans la main avec le familier, le connu jamais vraiment connu.
Le lendemain j’ai retrouvé le groupe familial et la voiture à Kastav, un village proche de Rijeka, et on est repartis sur les routes en direction du retour, des autoroutes, des restos d’étape, des pistaches italiennes, des Alpes, des lacs, à l’écoute des sons émanant de la voiture qui faisait preuve à cet égard de plus en plus de créativité… Et Manu, lui, est resté à l’Est, pour changer.
Texte : Malka / Photos : Manu (sauf photo île de Cres : Delphine)
Il m’aura donc fallu plus d’un an pour finaliser ce vaste récit de voyage composé de 26 articles, 26 bandes-son/field recordings, de dizaines de photos et même de posts « hors-séries » ! Mais c’est que le périple fut impressionnant :
– Parti le 1er août 2022, je suis revenu le 9 novembre 2022, soit exactement 100 jours de voyage (ce qui était parfaitement involontaire) ! – J’ai parcouru environ 7220 kilomètres, en bus et en train uniquement. Le chiffre est approximatif mais c’est dans ces eaux-là… – J’ai dormi dans 32 villes et 7 pays différents, même si 6 de ces pays n’en formaient qu’un seul il y a encore une trentaine d’années… – Et, accessoirement, j’ai réalisé plus de 20 heures d’enregistrements audio avec mon recorder Zoom H4N Pro !
De ces nombreuses heures d’ambiances sonores, j’ai donc tiré 26 pistes, désormais regroupées en un album de 1 heure 47 minutes baptisé A Hundred Days in the Balkans (Cent Jours dans les Balkans), disponible en téléchargement sur Bandcamp.
L’album est téléchargeable gratuitement mais vous pouvez aussi payer ce que vous voulez pour soutenir Zuunzug. Il y a juste à inscrire la somme (0 ou plus) après avoir cliqué sur Acheter l’album numérique/Buy digital album.
La qualité des morceaux est assez inégale, cela est dû non seulement aux enregistrements – qui ont été réalisés dans des conditions parfois très différentes les unes des autres – mais aussi à quand et où j’étais lorsque j’ai retravaillé mes field recordings pour en faire les bandes-son des articles. J’ai en effet commencé à bosser sur ce projet dès le mois d’août 2022, alors que le voyage ne faisait que débuter et que je n’avais évidemment pas accès à mon home-studio. À mon retour, la réalisation des morceaux s’est encore étalée sur un an, avec une façon de travailler et des idées qui ont évolué au fur et à mesure, il n’a donc pas été facile d’harmoniser la qualité sonore tout au long du processus ! Malgré ça, je pense que cet album garde une certaine forme de cohérence, qu’on peut l’écouter d’une traite et que le son reste relativement correct de la première à la dernière piste.
Et ce sera donc par ce recueil d’ambiances sonores que je clôturerai enfin la « saga » 100 jours dans les Balkans. Merci à tous ceux qui ont suivi mes interminables aventures 😉 Dans un souci de clarté (difficile à obtenir dans les limites du format blog), je remets ici tous les articles dans l’ordre :
« Tout ce qu’en cet instant je ressentais et comment, ce que je voyais, sentais, entendais, concevais, comprenais, nul ne l’avait sans doute jamais ressenti auparavant, ni ne le ressentirait. Le pire, c’est que je n’ai jamais pu raconter ça à personne, et que ce soit compréhensible ou ne serait-ce qu’un tant soit peu crédible. Ce dont je vous parle est moins tangible encore qu’une ombre dans une chambre sombre. » Bekim Sejranović (Ton fils Huckleberry Finn)